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L’Europe entre désirs et réalités

avril 2019

Pour discuter d’Europe, commençons par lever une ambiguïté qui risquerait de polluer le débat.

Parle-t-on de l’Europe désirée, utopie peut-être mais partagée par tant d'humanistes, grand dessein qu’on prête à de glorieux fondateurs dans l’immédiat après-guerre,  et moteur officiel d’une construction qu’il faut certes reconnaître laborieuse, décevante parfois, mais forcément au bout du chemin…

Ou bien parle-t-on de l’Union Européenne telle que les traités de Maastricht, puis Lisbonne  l’ont instituée, celle qui a imposé à la Grèce ses conditions, mais qui se laisse imposer par le  Royaume Uni les siennes ; celle qu'en France tous les candidats aux élections de mai 2019 reconnaissent non sociale, non démocratique, ultralibérale, non écologique ; celle qui n’a d’attitude commune ni sur la fiscalité, ni sur la défense, ni sur l’immigration, ni sur la protection de l’environnement, tous problèmes pourtant  unanimement cités comme cruciaux et urgents par l’ensemble des forces politiques en France, quelles que soient les différences d’arrière-pensées et de solutions envisagées.

Un des problèmes auxquels nous sommes confrontés est que les solutions pour l’UE et son avenir sont toujours argumentées au nom d’une Europe humaniste, quand bien même elles sont en totale contradiction, ce qui est rarement facile à démontrer.  Et on ne saurait se contenter de l'ultime argument   « c’est quand même mieux que si c’était pire ».

Comment expliquer que le  volontarisme pro-européen  empêche d’identifier les logiques qui s’imposent à nous par leurs effets évidents, et nous empêchent d’envisager que d’autres voies étaient et peuvent encore être possibles.

« There’s no alternative » avait ainsi affirmé Mme Thatcher pour défendre son modèle économique et social ; mais elle savait quel chemin suivre, et c’est celui qu’a adopté l’Europe qu’in fine le Royaume Uni s’apprête à quitter !

Cet aveuglement a deux conséquences qui ne devraient pas étonner : 

- le désintérêt pour le projet européen de cette partie du peuple français qui désapprouve la politique des gouvernements français, ne voit en l’UE qu’un instrument qui dicte cette politique,  ne perçoit aucun des avantages de l’Union qui ne profitent réellement qu’à quelques français « mobiles », et qui réalise qu’objectivement le mode de scrutin ne permet pas de modifier sensiblement la couleur du parlement européen qui de toutes façons n’y pourra rien changer car ses pouvoirs sont limités par celui de la Commission où s’exprime en souverain le gouvernement français ;

- la progression  « électorale » des opposants nationalistes et souverainistes qui  exploitent cette insatisfaction et ce constat d’impuissance, et tentent de les canaliser à leur profit avec un enjeu de politique nationale avant tout. La forme de populisme qui a réussi ailleurs pourrait réussir en France, et le risque pourtant faible grandit élection après élection.

L’Europe désirée : quelques thèmes récurrents et leurs limites

L’Europe des peuples ; dans le respect de la diversité des cultures, des langues, des histoires, des religions, des ethnies…

 C’est une Europe des Droits de l’Homme et du Citoyen, de la fraternité et de la solidarité, et donc aussi une Europe sociale qui implique un alignement vers le haut des modèles de protection sociale, sous peine de régression. Le modèle français, le plus évolué, serait généralisé… de même que notre laïcité qui seule garantit le respect des libertés et droits ci-dessus.

L’Europe des territoires ; fin des frontières entre les Etats

Du Cap Saint-Vincent à la Transylvanie et aux confins de l’Estonie, un européen pourra traverser librement des Provinces identifiables par leur seule originalité géographique, économique, historique.

Pas de frontières et cependant des limites…  mais lesquelles ?

Et pourquoi cet agglomérat de territoires ne ferait-il  pas le tour de la Méditerranée ?

La Turquie pourrait-elle en faire partie si les Turcs acceptaient les règles d’une Europe des peuples, des territoires et de la paix ?

Enfin, la frontière extérieure d’un espace « juridique » légitime, n’est pas un mur : une Europe des Lumières est une terre d’accueil : ne doit-elle pas être un refuge pour tout être humain dont l’existence et les droits fondamentaux sont menacés.

L’Europe de la paix : c’est le mythe fondateur.

Mythe, car c’est bien la paix revenue et imposée qui  est à l’origine de la construction européenne, pas l’inverse ! Mais fondateur car devenu argument de protection face à une menace intérieure. L’argument a justifié l’imbrication des économies depuis la Communauté du charbon et de l’acier, puis la PAC, comme entrave à toute velléité de domination d’un Etat sur les autres…

Et l’argument est récurrent, signifiant que la menace perdure… ! Très fort pour les générations qui ont souffert de la guerre ou qui du moins s’en souviennent, l’argument est moins compréhensible par les générations suivantes qui n’envisagent plus qu’une guerre militaire pourrait surgir entre Etats du continent Europe, quelle que soit sa configuration politique, tandis qu’a été instaurée une autre guerre, économique, reconnue dévastatrice.

L’argument de la paix s’est déplacé aujourd’hui vers celui de la protection face à une menace extérieure.  Il faut être fort face à… la Chine, la Russie, les Etats-Unis,…  L’Europe protectrice redevient  un thème de campagne 2019 ; faut-il, pour rester unis, se donner un ennemi commun ?

L’Europe de l’urgence climatique, enfin…

Il faut en effet préserver la Planète pour préserver l’Humanité. Cesser le pillage des ressources naturelles ; cesser la destruction de l’environnement naturel source et protection de la vie des espèces ; développer les énergies renouvelables, l’agriculture respectueuse de la biodiversité, les circuits-courts commerciaux, …

La prise de conscience du phénomène par la population oblige désormais l’ensemble des forces politiques à avoir un discours de combat. Les actes sont une autre affaire tant ce combat est peu compatible avec la logique de croissance économique et démographique présentée comme l’autre nécessité !

L’Europe réelle ou Union européenne des Traités

Les traités de l’UE sont dans le prolongement  d’une logique qui a prévalu et prévaut dans les étapes de la construction depuis les origines : constituer une zone de paix et de prospérité par des accords économiques et commerciaux : CECA (1951), CEE (Rome, 1957), PAC (à partir de 1962), Marché commun et union douanière (1968), marché intérieur (1993, libre circulation des biens, des personnes, des services et des capitaux). Le Traité de Lisbonne (2009).

Ces accords peuvent être vus dès l’origine en 1950 comme des arrangements subtils entre puissances économiques et financières, Etats-Unis (dominants), France et Royaume-Uni, et l’Allemagne (militairement vaincue, politiquement encadrée, mais économiquement  et financièrement préservée), pour reconstruire au meilleur coût l’Europe, sa capacité de production, et le marché qu’elle constitue, face à une URSS expansionniste et triomphante. Bloc capitaliste contre bloc soviétique. L’Europe s’ouvre au consumérisme de l’ « American way of live », à la mécanisation, au productivisme. C’est l’Europe du Plan Marshall (prêts aux Etats européens  assortis de la condition d'importer pour un montant équivalent d'équipements et de produits américains en surproduction) et de la modernité joyeuse qui sera celle des « trente glorieuses ».

Le Traité de Lisbonne remplaçant le Traité constitutionnel rejeté en 2005, reformule l’ensemble des accords économiques et commerciaux précédents  pour les adapter  à l’extension à de nouveaux Etats, fixe les modalités de la décision politique et la répartition des prérogatives entre l’Union et les Etats. Mais il ajoute des règles budgétaires auxquelles les Etats doivent se soumettre tout en respectant les règles générales du libéralisme économique qui fondent son existence-même à travers les accords ainsi re-légitimés.

Pour amortir la crise financière de 2008, aboutissement normal d’une sorte de « jeu du Monopoly mondial», ces normes budgétaires ont provoqué le choix de l’austérité, au moment où s’ouvrait une période de récession économique. La logique du libéralisme économique mondial devenu financier a conduit les Etats à sauver d’abord les banques et les rentes,  gonflant leurs dettes publiques, laminant des pans entiers de l’économie, engendrant le chômage et la précarité et accroissant l’écart entre les plus riches et les plus pauvres d’une ampleur telle qu’il n’est plus possible de le dissimuler.

Parallèlement, d’autres phénomènes mondiaux se sont développés amplifiant les effets sociaux de cette crise :

-la généralisation des technologies numériques qui révolutionnent les modes de production et le marché du travail mais aussi les relations humaines ;

-la prise de conscience du danger écologique et climatique et la prise en compte lente et forcée du risque dans les politiques énergétiques et  industrielles ;

-l’émergence de nouvelles puissances économiques et financières : Chine, Inde, Brésil …, perturbant les équilibres acquis…

-le réveil du conflit du Moyen-Orient, ethnique, religieux, civilisationnel pour la région, mais aussi enjeu géostratégique et économique entre les grandes puissances mondiales.

Entre le marteau (des contraintes budgétaires) et l’enclume (de la compétitivité),

-certains Etats, en situation de faiblesse, ont tenté de se rebeller, de conserver des marges et d’échapper aux rapaces avides d’exploiter leur situation ; la Grèce, le Portugal, étaient dans ce cas et se sont soumis finalement ;

-d’autres tentent de chercher ailleurs (Russie, Chine ?…) des accords plus favorables tout en bénéficiant des avantages de l’Union… ce sont les illibéraux !

-un autre, «exitant »,  en position de force, se permet de jouer le jeu du « je te tiens par la barbichette » en prenant le temps de négocier les arrangements qui feront qu’après l’exit ce sera comme avant ;

-d’autres enfin, essentiellement la France et les Etats du nord encore riches et politiquement stables, jouent le jeu du couple-franco-allemand-maître-du-jeu, en gardiens du libéralisme, requalifié progressisme en France ;

-et puis il y a l’Allemagne, pilier incontournable de l’édifice, qui a besoin des autres, surtout de la France, mais dans les limites de l’acceptation des règles budgétaires qu’elle a en fait imposées (le fameux ordo-libéralisme, ou « économie sociale de marché », sorte de version « morale » du capitalisme incluant la négociation du niveau des salaires).

Des conséquences socio-économiques en France

La France subit de plein fouet toutes les conséquences de la crise mondiale et des exigences européennes, à la fois parce que les gouvernements français successifs sont défenseurs de la logique mondiale du marché et défenseurs de la discipline européenne dont ils ont été initiateurs ou complices tout au long des étapes de la construction.

Au nom des règles de concurrence :

- privatisation ou dégradation des services publics, notamment dans les domaines des télécommunications, des transports et de la santé ;

- destruction du tissu industriel par délocalisation ;

- multiplication des normes favorisant les grosses unités capables de s’y conformer ;

- mainmise de capitaux étrangers sur des secteurs économiques stratégiques, au prétexte d’une réciprocité pour le moins aléatoire.

Au nom de la compétitivité :

- concentration des commerces, services et unités de production (agricole aussi bien qu’industrielle) et destruction corrélative des commerces, services et artisanats de proximité et de la petite paysannerie qualitative ; et son corollaire territorial ;

- fiscalité favorable aux plus riches au prétexte de favoriser l’investissement productif et à travers lui la redistribution de la richesse (théorie du ruissellement contredite par les faits et par la plupart des économistes dont Piketti, Stiegliz, …)

- transformation du droit et des conditions du travail, favorisant la précarité et la concurrence entre les travailleurs européens eux-mêmes ; et parallèlement, burn-out des cadres.

Au nom de l’harmonisation des régimes sociaux et de l’augmentation des coûts du 3ème âge :

- recul de l’âge légal de la retraite et évolution des régimes de retraite visant une adhésion progressive au régime par capitalisation…

Au nom de la réduction de la dette et de l’équilibre budgétaire :

- baisse du pouvoir d’achat dans la fonction publique ; politique de salaires bas dans le privé ;

- insuffisance de crédits et d’emplois dans l’éducation, la santé, la justice, la culture, la recherche publique ;

- transfert vers les collectivités locales des charges à caractère social, conduisant celles-ci à l’étranglement ou à la levée d’impôts locaux.

Au nom des accords de Schengen et de Dublin

-reconduite des migrants au pays d’arrivée.

Un pareil contexte interdit toute politique de lutte contre les paradis fiscaux et de réduction des inégalités, puisque ceux-ci en sont les instruments.

Il interdit toute politique audacieuse pour affronter les défis écologique et climatique qui demanderaient à la fois des investissements aux effets à long terme seulement  et des logiques commerciales bien différentes…

Et le mécontentement populaire qui en résulte, dont les « gilets jaunes » sont une expression inattendue et partielle,  ayant permis par défaut et par abstention à l’opposition nationaliste et xénophobe de constituer désormais la première opposition organisée à la démocratie libérale, il est impossible pour cette dernière de traiter sereinement la question de l’accueil des migrants sans prendre le risque d’offrir à son opposition un tapis rouge vers le pouvoir. 

Un déficit démocratique ?

Si les Français étaient satisfaits des effets de la politique nationale qu’elle soit ou non conforme à la politique européenne, ils ne se plaindraient pas d’une insuffisance démocratique du fonctionnement de l’UE. Au demeurant, les Français connaissent mal le fonctionnement de l’UE et ce sont principalement les partis au pouvoir qui en font état, excuse pour eux des échecs ressentis par la population qu’ils peuvent rejeter sur l’UE quand ça les arrange ; ou ceux d’opposition qui souffrent d’y être peu représentés.

Mais deux facteurs connus accréditent objectivement un déficit de démocratie :

-l’influence des lobbies sur les décisions, quelles qu’en soient les modalités ;

-le mode de scrutin pour l’élection au Parlement européen : les élections sont nationales et les programmes des listes candidates n’engagent pas plus d’élus que les élus du pays, ce qui enlève toute crédibilité à ces programmes ; de plus, le scrutin de liste fait que ce sont les partis qui désignent ceux qui seront élus.

En réalité, le citoyen ne sait réellement  ni pour qui, ni pour quoi il vote : il doit faire confiance à l’idée qu’il s’en fait… Et il n’aura aucun contrôle même indirect sur la suite donnée.

Conclusion

L’UE est donc bien loin de réaliser l’Europe désirée.

Le degré d’adhésion des Français à l’UE est le reflet du degré d’adhésion à la politique nationale invariable depuis plus de vingt ans. Il est vraisemblable qu’il en soit de même dans les autres pays.

Les optimistes diront que le chemin sera forcément long.

Les moins pessimistes qu’il est toujours temps de changer de chemin.